Au XVIIe siècle, la Place Royale à Montréal (connue aussi sous le nom de la Place du Marché) était le centre commercial, social et officiel de la plus grande ville du pays. On y affichait des proclamations des gouverneurs, des intendants, on y exécutait des jugements.
C’était sur cette place que les criminels condamnés à la peine du cheval de bois souffraient leurs punitions. Une potence pour les exécutions capitales y était installée. En même temps, les cultivateurs venaient y vendre leurs produits, les flâneurs s’y rencontraient pour colporter les nouvelles de jour et les dames de la colonie s’y réunissaient pour échanger des nouvelles.
L’affluence quotidienne en ce lieu public donnait lieu à des scènes, tantôt bizarres, tantôt amusantes.
En mai 1685, au cours d’une nuit, la potence et un carcan furent démolis par des inconnus et précipités dans le ruisseau Saint-Pierre. Le gouverneur de Ville-Marie, M. de Callières, ordonna une enquête. On découvrit que trois jeunes soldats avaient fait le coup sous l’influence d’eau de vie. Un procès devant une cour militaire suivit l’enquête, mais l’histoire ignore quelle en fut l’issue. Cependant, en 1730, d’autres farceurs répétèrent l’exploit pour le plus grand amusement de la population.
Les archives judiciaires de l’époque témoignent d’autres façons de s’amuser : les autorités craignaient toujours les chansonniers qui avaient la témérité de traduire en chansons les événements dont la nature déplaisait à l’autorité.
À titre d’exemple, citons le cas de Jean Berger, âgé de vingt-sept ans qui, en 1709, subit un châtiment du à ses chansons. Dans la soirée du dimanche 24 février 1709, Jean Berger fut arrête par erreur à cause d’un incident dont il n’était pas coupable (il s’agissait d’une bagarre entre un citoyen de la ville et un soldat). Mais, durant sa brève détention, Jean Berger eut la malencontreuse idée de composer une chanson sur l’incident auquel il avait été mêlé à tort.
Cette chanson lui valut l’accusation d’être un pamphlétaire séditieux et il fut condamné «à être appliqué au carcan de la place publique le jour de marché et à y demeurer attaché par le col, l’espace d’une heure». Une annonce devant et derrière le carcan fut placé avec l’inscription : «Auteur de chansons» (!!).
Le malheureux fut banni pour toujours de la Ville-Marie, en plus de payer une amende pour dommage au Roi.
Curieusement, les vrais coupables de la bagarre, deux soldats, réussirent à s’évader grâce à l’aide d’amis qui leur avaient fait parvenir en prison des vêtements féminins. Ils furent condamnés à «être pendus et étranglés», mais «il fut convenu que la sentence serait exécutée en effigie sur un tableau».
Un autre «amusement» des temps anciens, c’était le duel. Le duel en Nouvelle France était chose fréquente, bien qu’il fût puni sévèrement. Il faut souligner que ces rencontres à l’épée ou au pistolet avaient lieu entre membres de la noblesse. Parfois, on arrivait à un arrangement à l’amiable, mais du sang se versait régulièrement.
Le duel le plus célèbre eut lieu à Montréal vers la fin de 1684 entre François-Marie Perrot, ex-gouverneur de Montréal, et M. Jacques Le Moyne de Sainte-Hélène, fils du fameux Charles LeMoyne. Les adversaires furent blessés tous les deux.
Plus tard, d’autres façons de s’amuser apparurent dans le pays. En 1788 un cabaret fut ouvert sur la Place Royale à Montréal, Le Sullivan’s Coffee House, où se rassemblaient les membres des Beaver Club et Bachelors’ Club.
Mais la Première Société de Langue Française s’y réunissait aussi.
Un autre fait curieux eut lieu en 1850, beaucoup plus tard. Nous le décrivons pour montrer que l’honneur ne dépend pas d’un beau titre : au cours d’une réunion de jeunes officiers qui se développait vers une ambiance plutôt turbulente, un jeune lord de nom d’Edward, fils d’un duc, se permit quelque impertinence à l’adresse des serviteurs. Le maître des serviteurs s’est approché du jeune lord et lui a demandé de se conduire poliment… Le fils du duc, nonobstant, a continué ses insultes. «Bon, alors» - lui rétorque le maître, - «out you go, my lord !». Et avec ces mots, le garçon lance le lord par la fenêtre du premier étage de l’établissement. Une enquête fut ouverte et les autorités ont décidé que le garçon a bien agi, laissant le choix au lord de réfléchir sur la vanité d’un titre en présence d’un homme dont l’honneur est sublime.
Grand Quebec